Ce n'était pas sans appréhension que je fermai ma valise. Je venais de terminer mes études avec brio et j'étais officiellement éducatrice. Cette petite chambre étudiante en colocation me manquerait peut-être. Certes, ce n'était pas le grand luxe, mais j'y avais passé de bons moments. Jenny, ma colocataire, était déjà repartie. Nous nous étions fait de longs adieux larmoyants, se promettant de rester en contact, puis elle était retournée dans sa famille de l'Indiana. Moi, j'étais restée un peu plus longtemps, me demandant ce que j'allais faire une fois mon diplome en poche. Je n'avais pas de parents chez qui me réfugier le temps de trouver un premier contrat. Alors, il n'y eut qu'un seul lieu qui me revint à l'esprit. Un endroit, des dizaines de visages, deux en particulier.Le seul endroit où je m'étais réellement sentie heureuse et libre de devenir la personne que je voulais être.

Je m'étais souent interdit de penser à l'orphelinat. J'avais sentie mon coeur se briser lorsque Cassie et Hannah m'avaient poussé à partir pour faire des études et bénéficier d'une meilleure éducation. Elles l'avaient fait pour mon bien et je reconnais qu'elles ont bien fait, mais penser à elles, à tout ce qu'elles avaient fait pour moi, l'idée de ne peut-être jamais plus les revoir étaient bien trop douloureux pour moi. Et pourtant, ces derniers temps, je n'avais pensé qu'à elles, à l'orphelinat, aux enfants qui avaient encore besoin d'aide. J'en étais persuadée, c'était là que je devais aller. Mais comment réagiraient mes marraines en me voyant arriver ? Elles qui avaient tellement insisté pour que je quitte le nid, comment allaient-elles réagir en m'enttendant leur annoncer que je ne voulais plus les quitter ?

Dans l'avion qui me reconduisait à la Nouvelle Orléans, je me sentais tiraillée entre l'excitation de revoir ma vraie famille, et la crainte de les décevoir. Des papillons voletaient dans mon ventre, comme une adolescente qui se rendait à son premier rendez-vous amoureux. Pendant le vol, j'écoutais en boucle la chanson Country Road de John Dennever. Dans ma tête, je changeais quelques paroles. I belong New Orleans. Oui, ma maison était là, et j'y retournais enfin après tant d'années d'absence.

A l'aéroport, je regardais autour de moi dans l'espoir d'y voir un visage familier. C'était un peu riddicule, je n'avais prévenu personne de mon retour, comment auraient-elles pu deviner que je me trouvais dans cet avion, à cette heure précise ? Mais le monde était petit après tout, il était possible que, pour une raison quelconque, nous nous croisâmes dans cet aéroport bondé. Il ne me resait plus qu'à prendre un taxi qui me conduirait dans les marais.

Quelques heures plus tard, je posai le pied dans ce magnifique jardin dans lequel j'avais joué toute mon adolescence. Mais alors que le taxi s'éloignait, je me trouvais comme paralysée face à l'immense bâtisse. C'était comme si rien n'avait changé. Je cherchai immédiatement à voir si, dans le bureau, je pouvais apercevoir l'une de mes marraines. Des enfants jouaient dehors et me contemplaient comme si j'avais été une créature bizarre. Je me souvins que personne ne venait jamais ici, sauf pour y déposer un enfant. Je pouvais effectivement passer pour une personne étrange, plantée là, sans bouger, dans la neige. Je perdis la notion du temps. Je n'ai aucune idée du temps que j'ai pu passer ainsi, à observer l'orphelinat.

La journée paraissait interminable aux yeux d'Hannah. Passer du temps avec les enfants ne lui posait jamais de soucis, bien au contraire, elle adorait cela ! Mais ce jour-là, elle avait à peine pu leur faire cours le matin car elle avait de nombreux entretiens à faire. Et elle préférait en prévoir plusieurs d'affilé pour le même poste pour en terminer le plus vite...Et éviter les risques avec tous les enfants qui s'amusaient un peu partout.
Assise à son bureau, elle écoutait l'avant dernière candidate au poste d'éducatrice qui ponctuait chacune ses phrases à coup de "Madame la directrice"...ce qui agaçait fortement la fée. Après tout, elle lui avait déjà dit plusieurs fois de l'appeler Hannah et que ce "surnom" ne correspondait pas à l'ambiance familiale qu'elle voulait donner à l'orphelinat.

Elle jeta un coup d’œil par la fenêtre et remarqua Allison, assise sur un banc, emmitouflée dans son manteau, le bonnet aussi bas que possible et de gros gants qui l'empêchaient de tourner facilement les pages de son livre. Elle n'eut pas besoin de se demander pourquoi elle lisait dehors...Elle surveillait les plus jeunes qui jouaient avec la neige, dans le château fort construit par Tessy la nuit précédente. Un sourire attendri étira ses lèvres lorsqu'elle vit une bataille de boules de neige s'enclencher.

- Vous m'écoutez, Madame la directrice ? Donc, je disais qu'il était primordial de penser à la bonne éducation de ces enfants, il ne faut pas favoriser trop de distractions si nous souhaitons qu'ils s'en sortent.

Hannah reporta son attention sur son interlocutrice, n'affichant aucune réaction mais elle n'en pensait pas moins.

- Néanmoins, il est important qu'ils aident au bon fonctionnement de l'établissement comme cette...Camille ?

Cassie. Presque. Mais la bonne fée se contenta d'un geste pour lui signifier de continuer. Au bout d'un moment, la conversation se tarit alors, enfin plutôt, la candidate avait terminé son monologue et Hannah la raccompagna jusqu'à la porte.
Elle remarqua alors que la cour avait été désertée mais elle savait où ils étaient tous. Il suffisait de suivre la source des conversations. Les enfants piaillaient pendant leur goûter...qui n'était jamais le moment le plus calme de la journée. Elle les rejoignit alors, affichant un réel sourire en les voyant si joyeux. Jusqu'à apercevoir...

- Angela !

Elle se précipita pour serrer la jeune femme dans ses bras, la soulevant presque de terre.

- Je suis tellement contente de te revoir ! C'est que tu nous as manqué après ton départ ! Mais dis-moi, tu as perdu du poids, je te trouve plus...légère ? Tu manges bien au moins ? Tu dois penser à te nourrir correctement si tu veux réussir tes études ! C'est important !

Elle la relâcha enfin et lui ébouriffa tendrement les cheveux avant de s'installer à son tour à la table.

- Alors, est-ce que j'ai le droit à un chocolat chaud moi aussi ? J'ai besoin d'un remontant après cet entretien !

Et elle ne parlait pas d'alcool, elle n'en buvait pas, mais une boisson chaude lui ferait beaucoup de bien.

- Voyez-vous, les enfants, il semblerait que je vous laisse trop d'activités distrayantes. Je devrais peut-être réduire les temps de jeux et augmenter celui des études, qu'est-ce que vous ne pensez ?

Évidemment, les plus jeunes et les adolescents réagirent aussitôt, râlant, criant leur désespoir à cette idée...Seuls les plus âgés et Allison n'avaient rien dit. La deuxième parce qu'elle ne se le permettait pas, les autres parce qu'ils avaient parfaitement compris que c'était de l'humour...Une façon de se décharger après des entretiens parfois catastrophique. Et surtout, Hannah affichait un large sourire, preuve supplémentaire qu'elle blaguait. De toute façon, elle ne laissait personne dicter sa façon de faire quand il s'agissait de son orphelinat.

- Alors, Angela, depuis quand es-tu arrivée ? Tu aurais du nous prévenir, on aurait repoussé nos entretiens.

Et profiter un maximum. Parce que Hannah était persuadée que son retour était temporaire...Après tout, après avoir tout fait pour la pousser vers la sortie pour qu'elle découvre le monde, elle ne pouvait imaginer que sa jeune protégée, qui avait bien grandit au passage, était de retour. Et pour de bon.

Mon coeur fut vite réchauffé par l'atmosphère chaleureuse et familiale de l'orphelinat. Et le chocolat chaud de Cassie aidait aussi. Je ne m'étais pas rendu compte du froid qu'il faisait avant que mes doigts ne deviennent douloureux en serrant la tasse chaude. J'avais l'impression de revivre. Cassie m'avait sincèrement manqué pendant ces années, et plus encore que je ne l'avais pensé.

A la demande de la vampirette, je ne lui dis rien de moi, attendant qu'Hannah arrive. Pendant ce temps, je l'aidai à préparer du chocolat chaud pour tous les pensionnaires. Je rajoutai dans la boisson un soupçon de cannelle pour lui donner des allures de fêtes. Tout en ce faisant, je lui posai de nombreuses questions sur les pensionnaires que j'avais connu il y a cinq ans. Ils avaient beaucoup grandit bien sûr et nombre d'entre eux avaient quitté l'orphelinat. Il ne restait que Tessy, Esteban et Alysson. Bien sûr les deux premiers étaient au lit à cette heure-ci du jour. Puis nous appelâmes les enfants pour le goûter. Quelle ne fut pas ma joie de revoir Alysson ! Je la serrai dans mes bras. La dernière fois que je l'avais vue, elle avait 9 ans. Aujourd'hui, elle en avait 14. Elle était en train de se transformer en une belle jeune femme. Chacun pris sa tasse et quelques sablés. Les conversations allaient bon train. Les enfants étaient excités par la neige et racontaient leurs jeux.

Quelques minutes plus tard, Hannah arriva et sembla aussi heureuse que Cassie un peu plus tôt. Cela me rassura un peu, mais je n'osais toujours pas leur demander la permission de rester. Elles avaient déjà tant fait pour moi. En attendant, je m'empresse de les rassurer.

-Ne vous en faites pas, j'ai bien mangé pendant  toute la durée de mes études.

Je ne pus m'empêcher d'esquiscer un sourire en disant cela. J'avais bien mangé à a faim, mais j'étais touchée qu'elles s'en inquiètent. Elles me faisaient penser à ces parents ou à ces grands-parents qui veulent toujours nourrir leur progéniture, presque jusqu'à les dégoûter de la nourriture. Elles posaient aussi des questions sur mes études et sur mon retour. J'étais un peu plus gênée de leur raconter cette partie de l'histoire, mais il fallait bien répondre à leurs interrogations. De toute façon, j'aurais pu attendre encore des heures durant, je n'aurais pas été plus à l'aise.

-En fait...  J'ai terminé mes études... Comme j'avais fait une entrée décalée à la fac, j'ai été diplomée en décalé. J'ai reçu mon diplome il y a deux semaines.

Il avait fallut 6 mois à Hannah et Cassie pour me convaincre de quitter l'orphelinat. J'étais terrorisée à l'idée de me retrouver seule dans une ville que je ne connaissais pas. J'avais refusé de rentrer en septembre, mais j'avais fini par céder pour une rentrée au mois de janvier. Ce n'était pas courant, il était normal qu'elles aient oublié que je devais les achever à ce moment de l'année et pas au mois de juin comme presque tous les autres. Mainteant était venu le passage délicat. Je baissais la voix, jusqu'à devenir presque inaudible.

-Je n'avais pas prévu de revenir maintenant, mais je ne savais pas où aller en attendant de trouver du travail...

Je ne savais pas encore que l'orphelinat cherchait justement des éducateurs. Parfois, le hasard fait bien les choses, même si on n'en a pas encore conscience.

Hannah était ravie de revoir Angela, c'était vraiment une chouette surprise même si ce n'était pas le jour idéal, mais tant pis. Cela permettra d'égayer cette journée d'entretiens qui lui paraissait tout à fait interminable...surtout avec les éléments rencontrés. La jeune femme leur répondit, promettant qu'elle avait bien mangé.

- J'espère bien, même si de toute façon, je vais faire en sorte de te remplumer pendant ton séjour ici ! Tu restes avec nous combien de temps ?

Elle ne pouvait s'imaginer que ce serait définitif. Il arrivait souvent que d'anciens protégés revenaient pour des vacances, en quelque sorte, ou pour donner un coup de main...comme du bénévolat mais aucun n'avait été embauché pour de bon.
Hannah dégustait son chocolat chaud bien mérité lorsqu'elle apprit qu'Angela avait eu son diplôme !

- Oh la la, félicitations ! Je suis tellement fière de toi ! On fêtera dignement ton diplôme, tu le mérites bien ! Et si tu veux, on épluchera ensemble les offres d'emploi ?

La fée restait mère poule jusqu'au bout. Bien sur qu'elle les poussait à être autonome et à prendre leur envol, mais cela ne l'empêchait pas de vouloir les aider constamment, surtout qu'un premier emploi ce n'était pas rien. Il ne fallait pas se faire avoir par des employeurs peu scrupuleux.
La sonnette retentit alors et Hannah consulta rapidement la pendule. Pile à l'heure. Le dernier rendez-vous avait au moins le mérite d'être ponctuel. En attendant, elle vida sa tasse, sachant que ce serait bientôt son tour d'entrer en scène. Quoique, Cassie revint bien plus vite que prévue et ne semblait pas dans son assiette. Elle la regarda, d'un air interrogatif mais ne prononça pas un mot, se dirigeant vers la porte. Et dès qu'elle l'ouvrit, elle comprit alors le soucis. Prêtre. Pauvre Cassie. Cette vision n'avait pas du être très agréable.

Elle l'invita néanmoins à entrer et à la suivre jusqu'à son bureau. Heureusement, à pars son amie, tous les vampires dormaient profondément, ce qui leur éviterait une mauvaise rencontre.
L'entretien dura presque une heure avec une conversation agréable. Cet homme était quelqu'un de foncièrement bon avec de nobles motivations et Hannah regrettait presque qu'il soit curé. Sinon, elle l'aurait embauché. Elle le raccompagna à la porte puis demanda aux enfants présents où était Angela et Cassie. Comme on lui indiquait l'étage, elle grimpa l'escalier tranquillement et les trouva dans la chambre de leur protégée.

- Ah vous voila ! Cassie, si tu arrives à lui faire renier sa foi, il serait un candidat idéal. Il a de bonnes idées. Je suis sure qu'il ferait un bon éducateur. Dommage qu'il soit prêtre.

Elle soupira. Il était rare de trouver de bons candidats pour l'orphelinat et surtout pour les enfants qu'ils protégeaient, c'était souvent très compliqué d'embaucher quelqu'un mais elle refusait de rabaisser ses critères. Il en allait de la sécurité des enfants vivant sous son toit.
Néanmoins, elle chassa bien vite ses craintes et ses soucis, Cassie et elle y réfléchiraient plus tard, pour le moment, il y avait plus important. Oui, Angela.

- Alors, Angela, qu'est-ce que tu aimerais pour ta petite fête ? Tu manges toujours de tout ou tu es enfin devenue végétarienne ?

Son sourire se fit espiègle. Jamais elle ne forcerait un de ses enfants à manger comme elle, mais cela ne l'empêchait pas de blaguer à ce propos. Bien qu'elle s'assurait toujours de le faire auprès de ceux capable de comprendre que c'était de l'humour. Quoique, scandaliser un loup garou, c'était bien amusant ! Elle avait peut-être plus de 300 ans mais elle était loin d'être aigrie !

Cassie et Hannah ne m'avaient pas parlé des entretiens qu'elles étaient en train de faire passer, mais j'avais compris, lorsque le dernier prétendant au poste était arrivé, qu'il s'agissait d'un poste d'éducateur. Je n'osais pas leur demander le poste. Après tout, peut-être voulaient-elles quelqu'un de plus... Expérimenté ? Mais j'étais là pour un petit moment, peut-être fallait-il seulement que je fasse mes preuves.

-C'est avec plaisir que je regarderai les offres d'emploi avec toi Marraine. Et en attendant de trouver, je pourrai donner un coup de main avec les enfants. Au moins de temps que vous trouviez un autre éducateur. Mais peut-être que vous en avez déjà trouvé un ?

En tout cas, je me doutais que le dernier candidat ne serait pas retenu. Si le pauvre prêtre avait su où il se trouvait, il n'aurait pas même pris la peine de se déplacer. La pauvre Cassie était si pâle qu'on aurait pu la prendre pour une morte, sans mauvais jeu de mots. Je ne m'attardais pas trop sur le travail. Certes il était important d'y penser maintenant, je ne pourrais pas rester au chômage ad vitam aeternam, mais aujourd'hui, je prenais plaisir à être auprès des miens, de retrouver les gens qui m'avaient élevée et à être entourée d'enfants. Je resservis une tasse de chocolat chaud à quelques enfants qui avaient déjà fini la leur. Il faisait si froid dehors qu'ils en avaient bien besoin pour se réchauffer un peu.

Hannah me parlait d'une fête pour fêter mon diplome. Je n'étais pas tellement intéressée par les fêtes. En fait, un simple gateau était amplement suffisant. Je n'avais jamais beaucoup aimé être au centre de l'attention. Je n'aimais pas non plus demander trop de travail à mes chères sauveuses. Elles n'avaient pas été obligées de me recueillir, ni lorsque j'étais adolescente, et encore moins maintenant. Même si je savais qu'elles le faisaient de bon coeur et que cela ne les dérangeait pas le moins du monde, je ne me sentais pas en droit de leur demander plus.

-J'avoue, Hannah, que ton gateau au chocolat m'a beaucoup manqué. Je n'ai besoin de rien de plus.

Je souris lorsqu'Hannah me demanda si j'étais enfin devenue végétarienne. Je savais qu'elle ne me forcerait jamais à arrêter de manger de la viande. En fait, cela ne me dérangeait pas de ne pas manger de viande, d'ailleurs en tant qu'étudiante, il était rare que j'en mange, mon budget ne me le permettait pas. En revanche, s'il avait fallut me priver de fromages, de yaourts ou d'oeufs, cela aurait été beaucoup plus compliqué pour moi. De même pour le poisson, même si, là encore, mon budget ne m'avait pas toujours permis d'en acheter.

-Je mange de tout, merci. Est-ce que je peux t'aider en cuisine ?

J'avais toujours aimé donner un coup de main pour préparer le repas. C'était généralement un moment privilégié que je pouvais partager avec la fée, un moment où nous pouvions parler de tout et de rien, un moment qui me détendait.